vendredi 8 janvier 2010

Formation de formateurs sur la pédagogie interculturelle

Je crois qu'il me faut parler un peu boulot car sinon on va être tenté de croire que je passe ma vie en vacances ;)

A Bandung, nous avons la chance d'avoir un CCF (Centre Culturel Français) très dynamique dans lequel travaille une équipe super sympa, sous la direction d'un directeur tout aussi dynamique et sympa. Non je ne perçois pas de pourcentage sur les frais d'inscription ni de réduction sur les Bintang du café du CCF pour dire de telles gentillesses, ce n'est que la stricte vérité! J'aurais du mal à faire croire le contraire de toute manière, car il est de renommée locale que le CCF, c'est en quelques sorte ma résidence secondaire; je m'y sens bien, j'y apprécie la compagnie des gens qui travaillent là bas, j'y passe donc tout naturellement les 3/4 de mon temps libre, au point que je ne serais pas étonnée qu'on m'installe un jour un panier dans un coin de la médiathèque...:)

Bref, pour en revenir aux actions du CCF pour la promotion du français, elles sont multiples; agenda culturel diversifié et intéressant, médiathèque fournie, espace multimédia libre d'accès, et des formules de cours attrayantes.

Ma maison. Ah non pardon ça c'est le CCF.

L'un des atouts du CCF est sont équipe pédagogique jeune et dynamique, composée d'anciens étudiants de français (et pour certains encore en cours d'études), tous Indonésiens, ayant une bonne maîtrise de la langue française et étant pour la plupart familiers avec les techniques pédagogiques "modernes" (j'entends par là, s'inscrivant dans une démarche de pédagogie active, et sensibilisés à l'approche communicative).

Cependant, les contenus des cours dispensés aux futurs professeurs de français Indonésiens pêchent par l'absence de notions pédagogiques. En tout cas, c'est l'impression que j'ai quand je compare avec ma propre formation. Évidemment il est difficile de réellement comparer, les références et standards pédagogiques Européens étant à mille lieues des standards Indonésiens. De ce que je peux voir à l'UPI, les cours dispensés à mes étudiants se composent essentiellement de linguistique, de sociologie du langage, de civilisation, de français de spécialité ou d'acquisition langagière. Bref, mes étudiants - futurs profs - maitrisent la terminologie scientifique (oui, tous ces mots en -iques) mais quand il s'agit de techniques de classe, bien peu de choses sont vraiment abordées à ce sujet lors du cursus universitaire, et je sens mes profs un peu désemparés à ce propos.

A l'UPI, avec mes étudiants de S2 (les profs en formation continue de niveau post-maitrise) je peux d'ailleurs observer que les interrogations qui reviennent la plupart du temps sont de l'ordre pédagogique. C'est pourquoi lors du 1er semestre j'ai abordé de nombreuses fois ces questions: la didactique, l'acquisition du langage, les courants didactiques, des ateliers de création de fiches pédagogiques, la chanson en classe de langue, etc, etc. C'est donc dans cette démarche que j'ai proposé au CCF d'animer de temps en temps des formations de formateurs pour les enseignants du CCF; afin d'aborder des thèmes en lien direct avec leur pratique quotidienne.

C'est ce qu'on appelle dans le jargon la "Fofo", la formation de formateurs. En FLE, les formations de formateurs abordent de nombreux sujets, la plupart tournant autour des thèmes des TICEs, de l'interculturel, de l'enseignement de l'oral, de l'écrit, de la chanson en classe de langue, du FOS, etc, etc... C'est un volet du FLE que j'apprécie particulièrement, tant par la nature des contenus abordés (on est plus dans la pédagogie que dans la langue) que par le public auquel on fait face (des formateurs adultes, qui ont des attentes et des objectifs précis). J'ai donc animé ma première formation au CCF autour du thème de la pédagogie interculturelle, en décembre dernier.

J'avais pu observer lors du séminaire à Semarang que le thème de l'interculturel intéressait beaucoup les enseignants de français Indonésiens, mais les laissait avec de nombreuses interrogations, notamment sur la traduction pratique de cette notion "d'interculturel" en classe de langue. C'est pourquoi j'ai insisté sur la pratique cette fois, en proposant deux sessions, de respectivement 2 et 3 heures, dont la première, tout en définissant le cadre théorique, serait ponctuée d'exemples pratiques concrets, et la deuxième serait en grande partie un atelier pratique. Je suis partie du principe que pour retenir l'attention de mon groupe, il me fallait absolument illustrer mes propos théoriques d'exemples pratiques et concrets qu'ils pourraient ensuite réutiliser dans leurs propres cours. D'autant plus que quand on parle d'interculturel, on flirte parfois avec la philosophie humaniste et que les discours peuvent vite de perdre dans les limbes abstraites et opaques des discours inspirés...

Afin de parler de la notion d'interculturel sans me perdre dans les méandres théoriques, j'ai utilisé deux ouvrages comme base de travail, "l'éducation interculturelle" de Martine Abdallah Pretceille [1] et le livret édité par le Conseil de l'Europe sur l'interculturel dans l'enseignement des langues [2]. En termes de littérature sur le sujet de l'interculturel, le choix est large, mais ces deux ouvrages me sont les plus familiers et ils m'ont parus correspondre à mon public de formation. Quant aux aspects pratiques, j'ai préparé ma formation en me basant essentiellement sur le dossier Interculturel de Franc-Parler, qui est d'après mes nombreuses recherches le seul document en ligne traitant de l'interculturel sous forme de fiches pratiques aussi précisemment.

Lors de ma formation en FLE (et aussi - et surtout - grâce aux conseils de camarades superwomen de la formation...Oui oui Cécile c'est notamment de toi dont je parle ;)), j'ai appris que deux éléments sont à prendre en compte au préalable à toute formation: l'analyse des besoins du public concerné et les objectifs de l'institution. C'est pourquoi j'ai avant toute chose distribué un questionnaire aux participants à la formation afin de faire le point sur leurs connaissances sur l'interculturel, leurs difficultés face à cette notion et sur leurs attentes. A la question "qu'évoque pour vous la notion d'"interculturel"", j'ai été surprise de constater qu'ils avaient déjà une bonne maîtrise de certains principes essentiels. Tous avaient conscience que l'apprentissage d'une langue ne peut se départir d'une connaissance de la culture qui lui est liée, et certains ont également évoqué la nécessité de connaitre sa propre culture avant d'aborder celle de l'Autre. Autant dire les fondamentaux! Par contre, j'ai remarqué aussi que beaucoup de profs liaient la pédagogie interculturelle avec un certain enseignement du respect, ce qui d'après moi n'est pas le cas. Loin d'être un cours de morale et de savoir-vivre, aborder l'interculturel en classe de langue a pour but d'amener les étudiants à comprendre l'Autre, et c'est un chemin qu'il suit seul, l'enseignant n'étant alors "que" celui qui oriente, qui guide dans ce processus. Une autre question de ce questionnaire concernait les attentes des futurs stagiaires, et sans surprise j'y ai beaucoup retrouvé un désir de notions pratiques, concrètes, et réutilisables.

Pour répondre au mieux à ce souhait, j'ai conçu un dossier d'une 20aine de pages à l'attention des stagiaires. Un support papier, comprenant des fiches pédagogiques (la plupart tirées de Franc-Parler, FDLM, et de mes documents personnels), des articles de références (quelques pages résumant la théorie sur l'interculturel que j'ai rédigé, des articles de FDLM et de Franc-Parler, extraits du CECR), une bibliographie et une webographie. Bref des documents dans lesquels se replonger si on le souhaite, et dans lesquels piocher pour des activités de classe.

Comme je l'érivais plus haut...Bien plus haut en fait...(!! j'ai sérieusement digressé là tout de même...), j'ai traité de l'interculturel lors de la première séance en me basant sur les principes mis en avant dans le dossier de Franc-Parler, et les ponctuant chancun d'activités pratiques afin d'illustrer mes propos. Ainsi, au principe "sensibiliser les apprenants à la notion de culture", j'ai proposé comme activité le jeu de rôle suivant : "vous recevez un correspondant francophone chez vous et lui expliquez quelques coutumes Indonésiennes", jeu de rôle riche en informations et échanges, lors desquels j'ai pu apprendre que se moucher en public était très impoli et très honteux en Indonésie, alors qu'honorer un repas d'un rot tonitruant était tout à fait acceptable. Il est également très mal vu d'utiliser la main gauche pour donner/recevoir quelque chose, car celle-ci est considérée comme impure. Les rituels des repas sont aussi très riches en phénomènes culturels : les repas en Indonésie se passent en silence et sont rapides. Ils se composent essentiellement d'un plat complet. Nous avons bien ris lorsque l'une des stagiaires nous a raconté un repas qu'elle avait pris avec des français, lors duquel elle a du "subir" le package Apéro-Entrée-Plat principal-fromage-dessert-café tout en se retenant de roter et tout en étant assise face à son camarade français enrhumé se mouchant sans cesse...:)

Au principe "la culture de l'Autre", j'ai proposé une activité de recherche et d'analyse de certaines activités culturelles des manuels "ECHO" que les profs utilisent au CCF, afin que ceux-ci identifient ce que le manuel peut leur apporter en termes d'interculturel. Garder le lien avec le manuel m'a semblé important car il me semble peu probable, au final, que les profs proposent régulièrement et de leur propre initiative des activités interculturelles hors manuel dans leurs classes. D'autant plus que la plupart des manuels récents proposent de nombreuses activités du genre, sans toutefois aborder réellement la manière de traiter ces activités, et c'est là dessus que je voulais intervenir avec cette activité.

Le travail sur les stéréotypes s'est déroulé autour d'une caricature d'un français trouvé sur Internet; il a été amusant de constater qu'à ma question "et si vous deviez dessiner un Indonésien, que dessineriez vous?", aucune réponse n'était possible car il aurait alors fallut dessiner plusieurs dizaines de personnages! En effet, l'Indonésie est un archipel si culturellement diversifié que chaque région implique une nouvelle coutume, de nouvelles traditions, une nouvelle langue, de nouvelles habitudes et de nouvelles caractéristiques... La question devrait alors être, "et si vous deviez dessiner un Javanais? Un Balinais? Un Soundanais? etc, etc!

Caricature assez représentative du cliché français! Bien qu'en Indonésie, c'est plutôt un bel éphèbe Parisien portant un bouquet de rose et un flacon de Chanel n°5 qui devrait illustrer le cliché français, tant les Indonésiens associent la France avec le romantisme, Paris et le parfum..!


Enfin, pour le travail sur les similitudes qu'il existe d'une culture à l'autre, j'ai repris le tableau de l'exercice 5 du document PDF de Manuela Ferreira Pinto (CIEP).

Pour conclure sur du concret et pour préparer à la séance suivante, j'ai ensuite listé les supports et les activités possibles à utiliser en classe dans une perspective interculturelle; presse, images, vidéos, publicités, guides de voyage, caricatures, documents authentiques, rencontres réelles ou à distance, les jeux de rôles, les gestes culturels, internet, etc... Autant de pistes que j'ai lancées en vue de la séance suivante lors de laquelle j'ai proposé un atelier de création de séquence pédagogique interculturelle.

Les séquences présentées par les stagiaires lors de cette deuxième séance ont flirtées avec les notions vues précédemment, sans toutefois toujours être efficaces. J'ai pu constater que si les notions principales avaient été comprises, il faudrait encore du temps et de l'expérience pour que les professeurs que j'ai eu en formation en maitrisent les applications. Cependant de bonnes idées ont été proposées, comme une activité autour des cartes d'identités indonésiennes et françaises (au travers desquelles ont peut aborder plein de sujets, tant culturels que linguistiques), ou un jeu de rôle mettant en scène des personnages autour du rituel des cadeaux (cadeaux perçus de manière divergente d'un pays à l'autre). Ainsi, je ressors de cette formation assez contente dans l'ensemble, mais tout de même avec l'idée que décidemment, il me faudrait bien plus que deux séances pour amener mes stagiaires à s'exprimer davantage sur le sujet et à mieux le maitriser. D'autant plus qu'à plusieurs reprises, je me suis surprise à m'étendre trop sur la théorie, et à perdre un peu le fil de la pratique en partant dans des digressions certes passionnantes (une question en appelle toujours une autre et le sujet de la culture de l'un et de l'autre pousse à des discussions sans fin!) mais à contrôler dans le cadre d'une formation. Je regrette également qu'il soit si difficile d'évaluer la qualité de la formation; ainsi, je reste un peu dans le doute quant à ma prestation en tant que formatrice. Comment savoir si j'ai été claire? Comment savoir si mes stagiaires trouverons une utilité à ce que je leur ai appris? Bien sur, j'ai collecté les impressions dans un questionnaire de fin de formation, et celles-ci étaient pour la plupart positives, mais cela reste des mots.

Je me demande si ces interrogations sont les mêmes pour les formateurs FLE en général. Existe-t-il des formations dont on peut évaluer la qualité avec précision? Le formateur est-il condamné à rester sur le pas de la porte de la salle de classe de ses stagiaires, seul avec ses doutes? (et aussi, est-il éthiquement acceptable que le formateur, assailli par le doute, fasse usage de technologies de pointe en installant des caméras vidéos dans les salles de classes et vérifier ainsi le bien fondé de son travail...).

Bref, dans l'ensemble, cette première formation au CCF est une belle expérience, qui en appelle d'autres! Il faut dire que la demande ne manque pas; entre le CCF et les nombreux autres thèmes qui me restent à aborder avec les profs, et l'Alliance Française qui me propose des formations pour les profs de lycée, je vais avoir tout le loisir de chercher réponse à mes questions ;)



[1]
Abdallah-Pretceille Martine, L'éducation interculturelle, coll. "Que sais-je ?", Paris, PUF, 2004

[2] Byram M., B. Gribkova, H. Starkey, Développer la dimension interculturelle dans l’enseignement des langues, une introduction pratique à l’usage des enseignants, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2002

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