vendredi 18 décembre 2009

Fluctuations

Voilà bien des jours que je n'ai pas écris dans ce blog; pourtant je n'ai pas manqué de m'infliger régulièrement toutes sortes de remontrances à visées culpabilisantes, me disant que "aujourd'hui, c'est décidé, je mets à jour mon blog", et puis...rien.

J'ai vécu, ces dernières semaines, comme un engourdissement intellectuel, comme si mes pensées, mes réflexions, mes expériences, se heurtaient à un mur invisible dressé à la lisière de mon cerveau. Je nomme ça ma "phase d'intériorisation"; je parle de "phase", car j'ai pu, au cours de mes différents séjours à l'étranger, remarquer certains mouvements d'humeurs cycliques liés au déménagement (physique et moral) dans un pays étranger. L'humeur taciturne, une certaine lassitude et le renfermement qui s'ensuit sont quelques caractéristiques de l'un de ces cycles qu'il me semble avoir traversé ces dernières semaines.

C'est certes, passablement désagréable, mais ce n'est pas sans intérêt. Ca donne du grain à moudre, matière à penser. Ainsi j'ai pu constater que cette phase est ma "phase 2"; elle intervient après la phase "hystérie" (la phase 1, donc) liée à l'excitation de la nouveauté que représente le pays inconnu et mystérieux dans lequel on se retrouve. Les caractéristiques de cette hystérie sont, parmi d'autres, celles-ci: une curiosité insatiable, un éveil intellectuel dopé, une énergie sans limites, un amour illimité de l'Autre et des bizarreries de ce nouvel environnement. Bref, un état de grâce, qui pourrait s'apparenter à un état lié à l'absorption d'une drogue hallucinogène quelconque (si tant est que j'aie les connaissances en la matière pour pouvoir faire une telle comparaison.). Dans cette phase, on est à la disposition de tous, prêt à passer des heures interminables à dire des banalités pour le plaisir de l'échange culturel, on savoure le riz blanc vapeur comme on savourerait des coquilles saint Jacques au beurre, on passe des heures à préparer un cours, on s'engage sur 10 projets à la fois - et on arrive à en venir à bout - tout en prenant soin de collecter un maximum de clichés et de notes à propos de cette expérience merveilleuse et transcendante que l'on vit en pensant aux milliers de choses qu'on aura à raconter à nos gens de l'autre côté de la planète. Et on écrit un blog qu'on met à jour quasiment tous les jours.

Puis vient le moment où la batterie s'épuise et où l'on se met en état de veille. La folle énergie déployée les mois précédents laisse place à un état d'abrutissement et de fatigue générale qui engourdit les pensées positives et ternit les couleurs extravagantes dont on a jusque là peint son monde environnant. On se rend compte qu'on est humain avant tout, et que sous le soleil Indonésien ou dans la grisaille du Nord de la France, quand on en a marre, on en a marre, et qu'il n'existe pas de version Indonésienne édulcorée de cet état de lassitude général. La fatigue, l'éloignement, le manque de repères et le manque de personnes-ressources provoquent des réactions à fleur de peau: on préfère se couper une main plutôt que de voir un grain de riz passer sa bouche; on se dit qu'on pourrait tout aussi bien passer un film français quelconque dans la classe et aller faire une sieste plutôt que de proposer des activités théâtrales réglées à la minutes près tant parfois les étudiants ne semblent s'enthousiasmer que pour vos bouclettes blondes si exotiques; on a envie d'étrangler les muezzin à 4 heures du matin alors qu'auparavant on en savourait les sons avec plaisir; la curiosité saine et bienveillante propre aux Indonésien envers les "Buleh" (étrangers) devient une agression de chaque instant,, au point qu'on se surprend à répondre "ta gueule!" à un enfant criant "hello Buleh!!!!!!!! What iz your nèèèèm???!!!"; on ne remarque plus les belles choses qui nous entoure, mais on s'énerve sur les petites choses qui diffèrent, etc, etc...Bref, on devient con.

Certains de mes camarades expatriés appellent ça le "blues des 3 mois", d'autres en parlent autrement; toujours est-il qu'en raison du nombre limité de pensées positives que j'ai eu ces dernieres semaines, je me suis sciemment censurée sur ce blog car il ne me semble pas digne, ni juste, de "chouiner" quand on se trouve dans ma position, qui certes peut parfois être difficile, mais qui reste toutefois privilégiée.

Anyway, pour votre plus grand bonheur (mais pour le mien d'abord, faut pas rêver), je suis entrain de gratter la dernière couche de rouille de mon cerveau et suis bien décidée à reprendre du service et à vous FLE-iser les yeux en vous parlant tout d'abord de la formation de formateurs que j'ai animée sur la pédagogie interculturelle, puis d'ici quelques jours à vous pousser à me detester avec quelques clichés de Bali, où je vais passer Noël et Nouvel An.

Joyeuses fêtes! (Moi et Reza, lors d'une petite fête de Noël organisée par Julie)